La Fenêtre Scellée – Epilogue

« La vengeance n’est jamais initiée par la lumière ».

Textes, dessins et voix de Thierry Laruelle

Musique : M. De Sainte Colombe : Tombeau Les Regrets – Marin Marais : Sonnerie de Sainte Geneviève du Mont de Paris – Jordi Savall : Lachrimae Caravaggio.

Avec mes remerciements pour l’aide précieuse de Monique Giraud et le Site remarquable de Herodote.fr pour l’aide historique.

Epilogue – La vengeance n’est jamais initiée par la lumière.

Epilogue – Fin de la Série : La Fenêtre Scellée.

L’homme s’est reculé de deux pas, il ôte sa capuche pour découvrir son visage, prend le temps de remettre son épée dans le fourreau et regarde Esther dans le silence. Une larme glisse sur la joue d’Hélène en regardant le corps inanimé de François. Elle relève la tête et regarde fixement cet homme pendant que les rayons du soleil traversent les reliefs de la montagne de la Lance et viennent se projeter sur le mur ouest du jeu de paume. Aucun bruit ne dérange la scène, le vent s’est calmé, les branches des frênes ne craquent plus et le corps de François baigne dans un halo de lumière.

Esther et l’inconnu se font face ; non loin, l’odeur de brûlé est encore sensible, seules les dernières fumerolles restent actives parmi les décombres de la tour. Dans le plus grand silence, aucune âme, aucune activité humaine ne vient déranger les lieux.  

 – Esther : ”Monsieur qu’avez-vous fait ? L’homme d’un geste lent lui tend sa main.

– ”Qui êtes-vous Monsieur, que me voulez-vous ?”

– ”Madame, celui qui m’a libéré de mes chaînes, celui qui a éclairé ma mémoire et placé sur le chemin de la vérité, celui qui vous a rendu la liberté, m’a demandé de retisser ce lien qui nous unira à jamais !”

Esther le regarde attentivement, le regard froncé de méfiance. Cet homme demeure un parfait inconnu.

– Esther : ”Qui que vous soyez, si ce lien que vous pensez indestructible, pourquoi s’en servir pour tuer un homme si promptement ? Sans lui laisser la moindre chance de s’expliquer et voire de lui pardonner !”

– ”Nous avons toujours une bonne raison pour chercher la vérité, même si la vérité est le fruit de notre rancœur. Si cette recherche doit nous conduire à la vengeance, alors notre devoir est de l’accompagner jusqu’au bout de la démarche que nous nous sommes fixés. Je ne compte plus Madame, depuis déjà bien longtemps, les années qui m’ont éloigné de ma famille ; le souvenir de ma mère emprisonnée parce qu’elle était la femme d’un protestant, la mort atroce de mon père conduit au bûcher et la disparition de ma soeur Esther à l’âge d’un an ; alors oui, si toute cette histoire familiale ne compte pas pour vous, je vous dirais pourquoi avoir tué cet homme !? Mais si cette histoire est notre lien, si ce malheur qui nous unit et cette absence, ont affecté notre relation fraternelle, alors je vous répondrais que la vengeance n’a de sens que si vous acceptiez la mort de celui qui s’est rendu coupable de notre séparation !”

– Esther : ”Abel ! Mais comment ? Si Nahil est votre libérateur, je suis certaine qu’il n’a pas pu vous conseiller de vous enchaîner sur le chemin de la vengeance ; la colère n’apporte rien de mieux que le malheur à nouveau. La vengeance ne ramène aucune vie, cet homme n’était ni bon, ni mauvais. Prisonnier de son éducation, il ne voulait ou ne pouvait pas s’en soustraire. Je devais lui demander de libérer ma mère, votre mère, Abel ! Je ne vous connais pas mais je reconnais ce lien qui nous unit ; tous deux, nous sommes les enfants de Jeanne et de Pierre, mais nos vies se sont éloignées par la force des événements.”

– Abel : ”Esther, cet homme vous a-t-il avoué que notre mère était morte de faim enchaînée, seule dans l’obscurité depuis plus d’an, en Lorraine et qu’il n’a jamais eu l’intention de la faire transférer en Avignon !”

– Esther : ”Non ! Je ne voulais pas l’imaginer. Je gardais le peu d’espoir qu’il me restait de la ramener dans ma nouvelle famille à Lyon ! Nous ne pourrons jamais savoir, si c’était de son fait ou de sa volonté. Peu importe aujourd’hui, Abel vous devez fuir à nouveau.”

– ”Oui Esther, permettez-moi de vous appeler chère sœur, nos chemins vont encore se séparer et peut-être un jour se recroiser ? Quant à moi, je continue le combat pour la mémoire de notre père et de notre mère, pour tous ces pauvres gens sacrifiés pour rien ! Je repars sur le champ rejoindre l’armée du seigneur d’Andelot de Coligny. Nous continuons la lutte et nous espérons que notre bon roi Charles IX reconnaisse une bonne fois pour toute la Réforme !”

– ”Que Dieu puisse avoir pitié de nous tous ! Faudra-t ‘il attendre la ruine de notre royaume pour que vienne un traité de paix !?”

– ”Espérons le Esther !” Il se saisit des rênes de son cheval, resté à proximité.

Abel met le pied gauche à l’étrier, regarde une dernière fois sa sœur puis s’enfuit au grand galop rejoindre son destin.

Au loin, Juliette traverse le pont médiéval, un simple baluchon sur l’épaule, modeste bagage pour entreprendre un voyage à pied, comme un jour, ses parents le firent un matin d’hiver.

Le soleil prend sa course dans le ciel, la cité s’anime à nouveau après une nuit de cauchemar. Esther entend les gardes arriver au jeu de paume, puis s’éclipse discrètement et laisse derrière elle son passé, ses souvenirs d’enfance et elle sait qu’elle ne pourra jamais revenir dans ce château. Elle rejoindra son mari à Lyon et fera partie de ces grandes familles de la bourgeoisie qui feront l’histoire de la soierie à Lyon jusqu’à la crise économique de 1929.

Abel mourra à la bataille de Saint Denis en 1567, avec des centaines de lansquenets[1] allemands venus en renfort. Une confrontation indécise de part et d’autre. Du côté catholique, le connétable de Montmorency[2] trouvera la mort ce jour-là, à l’âge de 74 ans. Le traité de paix dit de Longjumeau sera signé un an plus tard le vingt-trois mars 1568 entre les chefs des armées royales et protestantes ; ironie de l’histoire, ce n’est que le manque de finance dans les deux camps qui permit une paix fragile mais la troisième guerre de religion commencera quelques mois plus tard. Ce n’est qu’à la fin de la huitième guerre en 1598, trente années plus tard que les hostilités se finiront. La France à bout de force et de finance, face à une Espagne qui ne voulait pas d’un roi de France protestant, signera le fameux édit de Nantes par notre bon roi Henri IV ; l’édit de Nantes est un édit de la tolérance mais sous conditions. Bien plus tard, le roi Louis XIV révoquera cet édit en 1685. Il faudra attendre, les critiques des lumières et la révolution française de 1789 pour permettre aux protestants d’être pleinement réintégrés dans leurs droits de culte, civils et politiques. Du massacre de Mérindol en 1545 à la Révolution, il aura fallu 244 ans de confrontation ; la vie des hommes passe trop vite mais son histoire avance lentement, à petits pas, vers la tolérance et la justice.

Nahil, quant à lui, celui dont le travail a été fructueux, après avoir négocié la libération d’Abel, en soudoyant les gardes-chiourme à Marseille, retrouvera le chemin de la Syrie après un périple à pied de deux années de voyage. En traversant la Hongrie par Buda Peszt, il réussira à passer par Istanbul et arrivera dans sa ville natale à Damas en 1568 après trente-cinq années d’aventures. Il enseignera jusqu’à la fin de sa vie, la médecine et la pharmacologie, grâce à la formation qu’il avait reçue à Fès de son jeune ami Abul Qasim Ibn Al Ghassani. Il mourra à l’âge de 82 ans en 1574, au printemps du troisième mois du calendrier lunaire hégirien.

                                            F I N


[1] Les lansquenets étaient des mercenaires, le plus souvent originaires des États de langue allemande, opérant du xve à la fin du xvie siècle.

[2] Anne de Montmorency, né à Chantilly le 15 mars 1493 et mort à Paris le 12 novembre 1567, est duc et pair de France, maréchal puis grand maître de France, baron des Baux et connétable et émule de Bayard. Cet homme extrêmement puissant, qui a symbolisé la Renaissance française, fut un ami intime des rois François Ier et Henri II.

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La Fenêtre Scellée – huitième partie 2/2

Textes, dessins et voix de Thierry Laruelle

Musique : Claude Gervaise (1525-1583) Danceries – Ambiance : Dark musique

Avec mes remerciements pour l’aide précieuse de Monique Giraud et le Site remarquable de Herodote.fr pour l’aide historique.

Chapitre VII – 2/2 – La confrontation.
L’Hommage à Jacques Faivre

Chapitre VII – Partie II – La Confrontation

Partie II

– ”Laissez-moi mes amis, je vais m’y rendre”

François rejoint le rendez-vous sans comprendre de qui il peut bien s’agir ; il traverse le pont médiéval et s’approche du jeu de paume. La porte qui donne sous les toits est ouverte, il s’arrête et hésite un instant avant de pénétrer dans l’enceinte. La main droite posée sur le pommeau de son épée, prête à réagir. Il appelle du seuil de la porte, l’épaule droite contre le mur, craignant une embuscade :

– ”Qui me demande ? Où êtes-vous et pourquoi cet endroit ?”

Un silence plane dans ce lieu obscur au petit matin, l’aurore est à peine ressenti, lorsqu’un bruit de pas attire son attention, quelqu’un s’approche de lui.

– ”Qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ?”

La voix d’une femme se fait entendre :

– ”N’ayez crainte Monsieur François de Bailleul, je suis venue en paix, vous sollicitez un recours”.

– ”Je voudrais d’abord savoir à qui j’ai à faire ?

Une femme avance au milieu du jeu de paume, entre obscurité et lumière, puis elle s’immobilise. Les flammes de la tour sont encore visibles.

– ”Je m’appelle Esther Roullot Diart, je suis l’épouse d’un maître soyeux à Lyon, mais mon nom d’épouse ne vous dira rien !”

– ”Vous êtes donc de confession protestante, Madame ? Bien que tous les marchands et soyeux, ne le sont pas tous devenus” – dit-il en souriant.

– “Oui ! Monsieur le Marquis” dit-elle.

– ”Entre l’invasion des forces protestantes à Lyon, il y a deux ans et l’épidémie de peste qui s’est déclarée sur une population fragilisée, il ne doit plus avoir grand nombre d’ouvriers et de grands marchands aujourd’hui dans cette cité, n’est-ce pas ? De plus, notre jeune roi Charles IX a fortement taxé la soie grège[1], ce qui ne doit pas arranger les affaires de votre époux, Madame !”

– Esther : ”Mon époux est un homme prévoyant Monsieur le Marquis, il connaît bien les affaires et il possède aussi des métiers de tissage en Avignon et traite ses affaires avec grand soin, aussi bien à l’exportation qu’à l’importation ; il marchande ses étoffes dans les plus belles cités d’Europe, en touchant une clientèle des plus fortunés. Ne soyez pas inquiet à son sujet, Monsieur le Marquis.”

– François :”Très bien, très bien, alors approchez-vous, Madame, que je puisse enfin vous voir et admirer la femme d’un industriel de la soierie. Dites-moi Madame, une femme de votre rang, quelle est la bonne raison, voire l’allégation qui vous anime pour venir me solliciter une requête au petit matin ? N’oubliez pas que je suis un fervent catholique, j’ai combattu les huguenots avec autant d’acharnement que mon courage me le permettait, sur tous les théâtres de guerre en France et dernièrement à Lyon !”

– Esther : ”Je le sais que trop bien, Monsieur le Marquis. À Lyon, en Provence et dans le Lubéron, de pauvres paysans vaudois furent sacrifiés à la demande du Baron d’Oppède. Effectivement votre courage et celui de ces hommes auront été sans limite, n’est-ce pas ? Mais de quel courage me parlez-vous Monsieur, celui d’être capable de massacrer de pauvres paysans sans défense, de les mettre au bûcher, histoire de rendre la justice plus divine !?”

– François : ”Vous avez peut-être raison Madame, vous ne mettez pas votre langue dans la poche mais la guerre, c’est la guerre ! La sauvagerie dont vous me parlez, a été orchestrée des deux côtés pendant ces deux années que je sache !”

– Esther : ”Bien entendu, Monsieur le Marquis, certains hommes de guerre, quel que soit le côté où l’on se trouve, ont cette forte capacité à se justifier pour faire le mal et je vois bien que cette paix[2] si fragile aujourd’hui est déjà en train de se diluer dans les esprits malins !”

– François : ”Vous êtes venue me parler de politique, Madame ? Je ne savais pas que les femmes s’intéressaient aux affaires du pays !?

– Esther : ”Si la liberté des femmes pouvait s’affirmer, nous pourrions vous démontrer que mains armées et courage de vaniteux ne sont rien face à la force de l’esprit !”   

– François : ”Ce jour-là n’est pas encore écrit, Madame ? Alors approchez, n’ayez crainte, que la lumière de l’aurore vienne sublimer votre courage et nous fasse découvrir votre personne.”

Son visage est encore caché derrière une épaisse capuche ; François ne peut encore l’apercevoir.

  • François :  ”Vous me faites penser à une jeune femme que j’aie perdu dans un accident malheureux, elle avait votre verve, vous lui ressemblez beaucoup ! Le timbre de votre voix me la rappelle.”

Ils ne sont pas seuls, une silhouette se profile discrètement dans l’obscurité du petit matin, cachée derrière la charpente du toit de la galerie, la personne observe avec attention l’entretien.

– François : ”Alors ! Madame, je vous écoute, qu’avez-vous à me solliciter ?”

– Esther : ”Vous n’êtes pas le responsable de l’arrestation de ma pauvre mère à Wassy en Lorraine, mais vous avez ordonné de la rapatrier en Avignon, pour quelle raison ? Je demande que vous la libériez, elle est innocente et n’a commis aucun crime, ni envers notre Seigneur, ni envers l’église catholique ; elle a assez souffert !”

François, reste sans voix, il se demande s’il ne fait pas un mauvais rêve et se reprend :

– François : ”Madame, ne me faites pas souffrir davantage, si vous faites allusion à la mère de ma fille adoptive Hélène, vous n’êtes pas sans savoir qu’Hélène est décédée depuis deux ans, ou alors, il y a sorcellerie et vous êtes la responsable de mon malheur !”

– Esther : ” Hélène est morte ce soir-là et Esther Barmantois a retrouvé la vie !”

François avance au centre du jeu de paume et cherche le regard d’Esther, puis il chancelle et s’agenouille à ses pieds pour lui demander pardon ; un long silence les entoure ; François baisse la tête comme s’il cherchait le moindre sentiment de compassion. Au-dessus du mur du jeu de paume, face au château, un scintillement orangé à peine visible, diffuse encore la fin de l’incendie et dans un dernier sursaut, la tour principale s’effondre dans un grondement assourdissant tandis que le soleil met fin à l’aurore en faisant son apparition au-dessus de la montagne de la Lance.

– François : ”Hélène, mais pourquoi avoir joué à ce jeu ignoble et disparaître ainsi, en nous faisant croire à votre mort !

– Esther : ”Vous osez me le demander, Monsieur le Marquis alors même que vous en connaissiez la raison ! Si vous aviez voulu mon bonheur, pourquoi avoir laissé ma mère enfermée en prison et pris le soin de la rapatrier en Avignon ? Pour me faire plaisir !?”

– François : ”Je n’ai voulu que votre bonheur, Hélène, mais je suis un chef de guerre, voyez-vous, un chef soumis aux ordres de son Roi qui ne peut se soustraire à son devoir !”

– Esther : ”De votre Roi ? Croyez-vous ! Moi, je dirai plutôt aux ordres de la ligue Catholique, prête à fondre sans scrupule sur de pauvres paysans !”

– François : ”Hélène, vous devriez savoir, que l’on ne voit plus en ces temps difficiles, le blanc du noir ou le noir du blanc, il n’y a pas de dominant et d’insoumis mais seulement deux communautés si proches l’une de l’autre dont la première volonté est de se saisir du pouvoir car la vérité est ailleurs, Madame, certainement pas dans ce bas monde ! Cela serait bien trop facile d’écrire l’histoire de cette manière pour les uns en accablant les autres d’outrage à la foi, mais Dieu un jour, reconnaîtra les siens[3] dans une ultime bataille de la vérité !”

– Esther : ”Il ne peut y avoir de foi et de vérité dans un massacre, Dieu ne peut être coupable de ces actes monstrueux et seul Dieu ne fait pas de différence entre les hommes, Monsieur le Marquis !”

Lorsque le premier rayon de soleil vient se poser sur le visage d’Hélène, François est saisi par sa beauté. Il ne voit plus qu’en elle, la femme qu’il aurait voulu pouvoir aimer. ll cherche en elle une compassion et ne sait plus quoi dire :   

– François : ”Mais comment avez-vous pu disparaître de cette maudite tour pour que nous ne puissions pas vous retrouver ?”

– Esther : ”Nahil et moi, nous avons passé deux jours dans la charpente du hourd, tout en haut sous le toit ; Nahil avait préparé la cache de telle manière qu’ils vous étaient impossible de nous trouver, comme deux clandestins qui devaient attendre avant de s’enfuir. Tout d’abord, au moment de l’illusion, pour faire croire à une chute par la fenêtre, au milieu de la fumée intense, je cassais la fenêtre avec un tabouret puis j’ai jeté un leurre, lesté avec une pierre, c’était un morceau de la manche de ma robe, par la fenêtre brisée pour laisser croire que mon corps avait dévissé jusqu’à la rivière ; lors de la deuxième nuit, après l’appel du chef de guet, nous sommes descendus de la tour, grâce à des tissus tressés, que nous avions attachés à la charpente et nous avons filé par les douves en suivant au plus loin, la rivière.”

L’inconnu dans l’obscurité observe toujours la scène, il s’est rapproché sans faire le moindre bruit, caché derrière la charpente.

– François : ”Mais comment avez-vous pu me faire souffrir de la sorte !”

– Esther : ”Vous faire souffrir, Monsieur le Marquis ! Avez-vous pensé à moi, à ma famille, avez-vous eu la moindre compassion pour mon frère Abel, condamné à perpétuité aux galères, à mon père brûlé vif au bûcher ! Avez-vous la moindre idée de ce que j’ai pu ressentir lorsque j’ai récupéré les documents cachés bien soigneusement dans votre coffre, auriez-vous une quelconque empathie envers moi, Monsieur, vous qui me dévisagez ?”

François, sans réfléchir, atteint dans sa fierté, hors de lui, d’un geste incontrôlé, tire son épée du fourreau, pointe sa lame vers Esther, la regarde dans les yeux. Esther crie “Attention à vous, François ! Non !” François reste immobile, comme surpris. Une tache rouge se répand sur le pourpoint, au niveau du ventre. François baisse la tête, regarde le sang qui ruisselle, porte la main à l’endroit de la douleur. Sa main droite lâche son épée, il ne dit rien et recherche une dernière fois le regard d’Hélène, ne comprend toujours pas ce qu’il lui arrive puis il titube, sans un mot, il tousse. Du sang sort de sa bouche, ses jambes ne le tiennent plus, ses yeux se ferment. Il s’agenouille et tombe en avant, mortellement blessé, face contre terre, au pied d’Esther.


[1] En 1563, Charles IX, alors âgé de treize ans et qui vient de prendre possession d’un pays ravagé par les divisions religieuses, décide de taxer l’entrée de la soie grège dans le royaume à hauteur de 50 %.

[2] Les chefs huguenots sont décidés à reprendre les armes dès l’automne 1567 et leur inquiétude devant l’influence grandissante du cardinal de Lorraine sur le jeune roi Charles IX les amène à envisager un coup de force pour soustraire le roi à cette influence.

[3] Cette expression est attribuée à l’abbé Arnaud Amalric, en 1209 contre les Cathares prisonniers à Béziers où plus de vingt mille à trente mille personnes furent massacrées au nom de l’Eglise Catholique ! Autre histoire et même drame ! 

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La Fenêtre Scellée – huitième partie 1/2

Textes, dessins et voix de Thierry Laruelle

Musique de : Claude Gervaise (1525-1583) Musique de la Renaissance et Danceries Suite I.

Avec mes remerciements pour l’aide précieuse de Monique Giraud et le Site remarquable de Herodote.fr pour l’aide historique.

Chapitre VII – La confrontation
La mort de Jacques Faivre.

Chapitre VII – Partie I – La confrontation.

Deux ans plus tard, au vingt-deuxième jour de septembre 1564, après avoir subi l’un des plus violents orages de la saison, la journée passe dans le silence au rythme des envolées de feuilles de frênes disséminées tout le long de la rivière chargée d’alluvions et de branches d’arbres. Plus tard, la nuit reprend tous ses droits dans une volupté de ciel étoilé de mille lumières, accentué par la voie lactée. Chouettes et hiboux jouent la symphonie nocturne pour le ballet des chauves-souris. Tout est calme, puis au loin, on peut entendre le guet de la nuit “oyez, oyez, oyez bonnes gens, dormez en paix, le guet veille”.

        Au loin, une lumière rougeoie et bouleverse ce décor apaisé. Tel un soleil couchant, le brasier illumine le château, accompagné par un crépitement de plus en plus fort qui résonne dans la nuit. Une fumée épaisse s’élève dans un ciel étoilé, au niveau de la charpente de la tour principale, les flammes surgissent déjà avec force de part et d’autre des embrasures de l’édifice. Soudain, les cloches de l’église du village se mettent à carillonner, les domestiques du château donnent l’alerte et commencent à se regrouper, d’autres se précipitent pour préparer les seaux d’eau. On crie « au feu, au feu », on appelle les gardes. Les villageois sortent de leurs maisons, effrayés et assistent à l’incendie de la tour qui menace les pièces attenantes. Plusieurs explosions attisent les flammes, embrasent les poutres, quelques pierres surchauffées de la tour, au niveau de la charpente, tombent en fracas dans les douves, tout va beaucoup trop vite. Jacques Faivre est déjà présent et ordonne aux hommes d’organiser deux chaînes avec les seaux d’eau, les uns doivent remonter l’escalier de la tour et une autre équipe se place au niveau du chemin de ronde. Jacques est inquiet et ne comprend pas pourquoi le feu se propage aussi vite ; il décide de monter en premier les escaliers. Il ouvre la première porte. Les murs sont chauds, le feu est déjà en bas des premières marches, le courant d’air avive les flammes. Lorsqu’un ballot de paille enflammé surgit dans l’escalier en colimaçon et arrête sa course devant Jacques. Une voix se fait entendre :

– « C’est toi Jacques Faivre, forgeron de ton état et soldat sanguinaire du Pape ?”

– “Qui es-tu pour venir m’offenser ? Est-ce toi qui a mis le feu ?”

L’homme apparaît en haut des marches.

– “Tu le sauras bien assez tôt… toi Jacques, tu seras le premier sur la liste à rendre compte de la mort de Pierre de Barmantois. Je vous accuse de l’avoir donné en pâture aux juges du Pape, de l’avoir remis au tribunal de l’inquisition et d’avoir participé à sa condamnation au bûcher. Il y a dix-neuf ans déjà. Je vous accuse d’avoir pris en otage sa petite fille Esther, de l’avoir arraché des bras de sa mère à l’âge d’un an. Je vous accuse d’avoir jeté sa femme dans les prisons de Lorraine. Vous avez fait croire à sa fille qu’elle avait été transférée dans un cachot d’Avignon, juste pour le plaisir de montrer votre pouvoir !… Je continue la liste ?”

– “Qui es-tu ? Personne ne peut connaître cette histoire, en dehors du Marquis et de moi-même !”

– “Je suis devenu le gardien de leurs mémoires !”   

– “Que voulez-vous ? Je n’ai fait qu’obéir aux ordres, je suis un soldat, mais répondez qui êtes-vous ? Mais bon sang, je reconnais ta voix, tu travailles pour le menuisier Paul, tu t’appelles Adrien et depuis trois semaines, est-ce toi qui hantes les escaliers de la tour principale ?”

– “ Oui, c’est moi ! Je suis venu pour rendre justice et venger Pierre. J’exige que vous libériez sa femme, sinon…”

– “Sinon quoi ? Monsieur Adrien, vous, le gardien de la sentence !”

– “J’exécuterai la sentence que sa mémoire m’ordonne, en commençant par toi !”

– “Mais quelle sentence ?”

– “Assez parlé.” L’homme, en haut de l’escalier, lui lance une pierre, Jacques la reçoit en pleine figure et s’échappe par la deuxième porte vers une vieille salle de garde délabrée. Le feu continue à se propager dans l’escalier, la chaleur devient étouffante et la fumée empêche les gardes de s’approcher ; Jacques réussit tout de même à pénétrer dans la salle où l’attend Adrien. Son visage est ensanglanté. Les lames des deux épées se croisent violemment, Jacques repousse son adversaire de l’épaule mais glisse sur une marche et tombe en arrière sur un socle de pointes de lances tombées du mur. Il est allongé sur le dos, transpercé de part en part, le sang coule sur le sol. Il lève les deux mains au ciel, comme s’il cherchait à se faire absoudre de ses péchés, sa bouche est remplie de sang, il tousse… Il gémit de douleur et grogne de rage car il aurait préféré mourir au champ d’honneur. Adrien regarde Jacques mourant. Le vieux soldat le dévisage les yeux rougis. Il demande à Adrien de s’approcher et lui dit :

Adrien se baisse et s’approche de la bouche de Jacques :

– Jacques, d’une voix faible lui dit : “ Je reconnais la marque que tu as sur ton avant-bras !”

– “ C’est la marque des galériens, pourquoi ? Dans ton glorieux passé, as-tu été aussi garde-chiourme ?”

Jacques dans un ultime effort murmure à l’oreille d’Adrien.

– “ Non mais j’ai envoyé beaucoup de gens de ton espèce aux galères, alors c’était toi qui allumais la bougie en haut dans la tour chaque matin ?”

– “ Non, c’était le spectre d’Esther ! Elle est revenue pour vous !”

– “ Alors c’était vrai…” puis il ferme les yeux dans un dernier souffle.

 L’homme le regarde longuement avant d’ouvrir une trappe au sol puis il s’engage dans un passage étroit qui conduit en bas dans les douves et s’éclipse en un instant. Un garçon du village, sur le chemin de ronde, voit passer en bas l’inconnu qui s’enfuit dans la nuit.

Pendant ce temps à l’extérieur, soldats et villageois luttent pour contenir l’incendie mais c’est déjà trop tard ; les flammes ont envahi la cage d’escalier, les poutres qui supportaient les planchers aux étages se sont effondrées et la charpente du toit menace de tomber. La tour principale où aimait jouer Hélène, brûle dans un vacarme assourdissant. Les vieilles pierres ne résistent plus à la fournaise, les villageois épuisés ne peuvent plus maîtriser l’incendie et l’ancienne tour médiévale s’effondre comme l’aurait fait un vieux chevalier blessé à mort lors de la bataille.

Le seigneur de Bailleul, arrive à cheval de Montélimar avec deux cavaliers. De loin, il a pu assister au brasier de la tour qui engendrait une lumière si intense dans le noir que l’on aurait pensé à une nuit de pleine lune. Les chevaux sont épuisés après dix lieues de galop et de trot sur les chemins de campagne. Il saute de son cheval et demande à parler à son chef de corps Jacques ; l’un des soldats lui apprend la terrible nouvelle :

–  “Monseigneur, Jacques Faivre est mort en tombant dans une salle de la tour, on l’a retrouvé, allongé sur le dos, transpercé par un socle de fers de lances. Il a dû glisser, c’est sans doute un accident ”.

– “N’importe quoi, un homme de la valeur de Jacques, ne meurt pas de la sorte ! Où est-il ?”

François est hors de lui et traverse en courant le pont qui mène à la cour d’honneur ; il veut le voir et se précipite sur le corps de Jacques qui repose en haut des marches de l’escalier d’honneur. Il est recouvert par une couverture, François s’agenouille, soulève la couverture. Son corps est noirci par la fumée de l’incendie, son bras droit et ses deux jambes ont été brûlés mais pourtant, son visage est apaisé, ses yeux sont fermés. François lui pose la main sur son visage et lui parle tendrement :

– “Jacques mon ami, ne t’inquiète pas, ta place est au paradis des valeureux soldats”.

Il s’agenouille devant la dépouille, les mains croisées, il prie pour son âme :

 “Requiem æternam dona ei, Domine, et lux perpetua luceat ei[1]

François de Bailleul est très affecté par la mort de son fidèle compagnon Jacques, il demande à ses soldats de lui rendre demain un dernier hommage ; un domestique avec son enfant s’approche, l’enfant est un peu intimidé, lui dit qu’il a vu quelqu’un s’enfuir dans les douves.

François d’une voix insistante : “Parle garçon, il y a combien de temps que tu l’as vu ?

        Le jeune garçon lui répond que cela ne fait pas trop longtemps mais il ne sait pas dire depuis combien de temps ?!

-“Imbécile ! Tu ne pouvais pas donner l’alerte !” lui répond François.

– « Que tous les gardes disponibles le recherchent au plus vite, il me le faut vivant ! Je veux savoir de qui il s’agit et pour quelle raison il a cherché à cacher sa fuite ! »

        – “Monseigneur, une femme vous demande au jeu de paume”

– « Décidément, on passe de drame en surprise, ce soir ; elle t’a dit comment elle s’appelait et pourquoi elle veut me voir dans un pareil moment ?”

– “Monsieur le Marquis, elle a insisté et elle a précisé que c’était important ! Monsieur le Marquis, Monsieur le Marquis répondez !”

François est épuisé par cette terrible journée, il regarde la tour, toujours sous l’emprise des flammes et de ses secrets. Peu à peu, abattu parce qu’il vient de vivre, les mains sur le visage, il se replie sur lui-même. Il revoit le visage souriant d’Hélène, lorsqu’elle était enfant, à ces jours heureux et à ce terrible jour de septembre, le soir de sa disparition. Il regarde vers le ciel pour chercher la lumière, une voix qui pourrait le comprendre et lui pardonner ; il se sent seul dans cette cour d’honneur, parmi les gardes et les domestiques. Le château est en pleine effervescence, on s’agite de toute part pour éteindre l’incendie. Les bras levés en croix, le Marquis de Bailleul fait appel à sa conscience et s’agenouille face à l’édifice :

– “J’ai perdu Hélène et je viens de perdre mon meilleur ami ; je suis fatigué de tous ces conflits, de cette haine que nous attisons, à quoi bon ? Tous ces morts… je me suis battu pour la gloire de Dieu, j’ai tué des chrétiens en son nom, mais pourquoi ? Faire de la politique, pour une religion, défendre un rite contre un autre, à quoi bon ? Croire ou ne pas croire, nous ne sommes que des hommes aveugles et nous nous détestons pour de simples futilités, pour un roi ou pour un pape. Ils nous ordonnent de tuer et nous obéissons comme les troupeaux vont à l’abattoir, nous crions à leur gloire et ils nous récompensent en volant nos terres. Petit à petit insidieusement, nous ne le voyons plus, nous devenons les auteurs de notre propre misère ; notre beau royaume de France a perdu son âme en faisant confiance à la voix des extrêmes. En aveugles que nous sommes devenus, nous avons pactisé avec le diable, nous donnons nos terres et nos cités en pâture aux charognards, nous brûlons les champs de blé de nos paysans qui sacrifient leurs vies pour de petits lopins de terre que nous leurs octroyons avec condescendance. Nous coupons les mains de nos meilleurs artisans, parce qu’ils prient autrement, alors, tout ça pour ça, à quoi bon ? Je suis le gardien de cette cité et je me suis attaché toute ma vie à vouloir acquérir d’autres biens, alors que je n’étais pas capable de défendre ceux que j’aimais. Dieu, puisses-tu me pardonner tous mes péchés et toutes mes erreurs, je m’en remets à toi désormais !”

Toujours sous l’influence d’une torpeur envahissante, François est tout proche de la tour en flammes. On crie autour de lui, on l’appelle, mais il ne réagit pas, “Monsieur le Marquis, Monsieur le Marquis, faites attention, écartez-vous, vite !” Mais il n’entend rien, coincé entre culpabilité et fatalisme. Le chef de guet prend l’initiative, court vers lui, le tire par les bras, de quelques pas, juste avant que les pierres surchauffées ne viennent s’écraser au pied de l’édifice. Puis le reste de la charpente du hourd de la tour s’effondre devant eux. François retrouve ses esprits et remercie le garde qui lui a sauvé la vie.

– ”Monsieur le Marquis, que faisons-nous de cette femme qui vous attend au jeu de paume ?


[1] Donne-lui le repos éternel, Seigneur, et que la lumière perpétuelle luise pour lui.

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La Fenêtre Scellée – Septième Partie 2/2

Textes, dessins et voix de Thierry Laruelle

Musique de : Claude Gervaise (1525-1583) Musique de la Renaissance.

Avec mes remerciements pour l’aide précieuse de Monique Giraud et le Site Remarquable de Herodote.fr pour l’aide historique.

Chapitre VI – L’Illusion – Partie II
Nahil et la grenade

Chapitre VI – Partie II – L’Illusion

Hélène attendait de pied ferme avec son épée, le pommeau était de cuir rouge au quillon inversé[1], elle tira l’épée de son fourreau que Nahil lui avait offerte, dans une grande concentration, elle se mit en garde, prête à les accueillir dans l’escalier en colimaçon. Elle avait fermé la porte d’accès à clef et se rappela les cours d’escrime que Nahil lui avait donné, elle se sentit en confiance, le courage de leur résister, de faire front dans cet escalier médiéval qui permettait de ralentir une invasion grâce au sens de la montée, de la gauche vers la droite. Elle avait pris soin de plonger le passage dans l’obscurité, un à un, elle pourrait les affronter et se rappela de l’histoire que lui avait raconté Nahil, lors de la bataille des Thermopyles, lorsque les Spartiates défendirent un défilé suffisamment étroit pour contenir un temps l’armée Perse. Nahil avait préparé son piège tout en haut de la tour pour attendre Hélène si elle devait être repoussée ou blessée par l’un de ces hommes. A chaque niche dans les escaliers de la tour, elle avait placé de gros cailloux, prêt à être jeté sur l’adversaire. Hélène est une jeune femme très courageuse, après avoir découvert l’histoire tragique de ses parents, elle ne lâcherait rien et prit la décision de se venger pour rendre la justice et honorer sa famille.

Dehors, la puissance de l’orage accentuait les tensions, par-delà les orifices et le reflet de la foudre, sur les carreaux des fenêtres, se diffusait en cadence. Les éclairs apportaient à ce lieu un décor de tragédie. Jacques, sous une pluie intense, les cheveux trempés par la pluie qui ruisselait entre ses yeux d’un noir profond et disparaissait comme une résurgence dans sa grosse barbe noire. Sa bouche grande ouverte et grimaçante contenait sa rage. Il s’acharnait sur la porte comme un forcené. François en bas de l’escalier d’honneur attendait, le regard perdu dans ses songes lorsque le dernier coup de butée fit sauter le verrou, la première porte de la tour céda. Jacques pénétra d’un coup de pied et fit claquer la porte sur le mur, en bas de l’escalier en colimaçon, dans une obscurité éphémère au rythme inquiétant de la foudre. Il se retrouva en face d’un grand masque tacheté de blanc, aux yeux étirés de part et d’autre d’un gros nez épaté au-dessus d’une bouche fermée, qui s’illuminait à chaque éclair. il recula de deux pieds et se mit à crier de surprise ! “C’est de la diablerie” disait-il. Il se reprit et allongea son bras le plus en avant possible pour toucher avec la pointe de son épée le masque africain mais derrière se cachait Hélène qui d’un large coup d’esquive, lui toucha le front d’un bout à l’autre, Jacques porta sa main à son front ensanglanté et descendit à nouveau trois marches de l’escalier à reculons ; il cria de rage !

– “Qui se cache derrière cette diablerie ?”, “Hélène, Monsieur !”

– “Déposez votre épée, je dois vous ramener à mon maître “

– “Dites à votre maître qu’il vienne me le demander !”

– “je vous connais depuis toute petite, venez… ne m’obligez pas, j’ai peur de vous faire du mal”

– “Monsieur Faivre, je vous assure que le mal a déjà été consommé, dites-moi où se trouve ma mère et mon frère et je vous laisserai la vie sauve !”

– “ Dame Hélène, enfin ! …vous n’avez jamais tué un homme de votre courte vie et vous pensez que vous allez pouvoir m’empêcher moi, chef de corps du Marquis de Bailleul ; vous n’allez pas vous en sortir, vous ne pouvez pas fuir, allons réfléchissez, vite Mademoiselle, mon maître s’impatiente ; je vais monter les quelques marches qui nous séparent, vous allez déposer votre épée et vous allez gentiment me suivre, Monsieur de Bailleul, vous attend en bas de l’escalier d’honneur”.

Jacques porta la main à son front, regarda sa main rougie de sang, puis regarda à nouveau en haut de l’escalier en colimaçon, tourna la tête vers la porte et d’un geste brusque sauta en avant pour lancer une attaque sur la lame d‘Hélène qui se termina par un battement des deux lames et un froissement vif lorsque Jacques retira la sienne pour feindre une nouvelle parade circulaire. Hélène de sa position dominante en haut des marches, prit l’initiative d’une attaque au fer en tendant son bras droit et posa son pied sur le torse de Jacques et le fit basculer en arrière dans l’escalier ; il déboula les escaliers jusqu’en bas des marches. Hélène remonta deux nouvelles marches et se prépara à nouveau. François de Bailleul avait pris la place de Jacques, un silence s’était installé en bas dans le hall de la tour, la pluie avait cessé de tomber, l’orage s’était éloigné de la cité. François regarda attentivement la situation avant de parler, puis…d’une voix calme :

– “Que veux-tu Hélène ?”

– “La liberté et la justice !” répondit Hélène.

– “Quelle liberté ? Sais-tu ce que représente être libre ? Ou du moins, as-tu conscience que notre liberté se résume en définitive à notre espérance, à la foi qui nous anime et à Dieu qui nous ordonne ! Se connaître soi-même, c’est déjà le début d’une liberté aléatoire…Pour la justice, nous avons accompli ce que nous pensions être juste ; ton père, en chef de file des réformés, voulez évangéliser le Dauphiné, ils se sont rebellés contre la monarchie et le pape, trop influencés par les maudites thèses de Luther et de Calvin, ils ont payé le prix de leur aveuglement ; nous ne nous sommes pas rendus coupables de nos actes puisqu’ils ont été dictés par la main de notre souverain éternel ; gloire à Dieu ! Suffit maintenant ! Nous avons assez parlé, je n’ai pas l’intention de vous laisser faire, ma mie ; descendez, voulez-vous ? Nous allons déposer nos épées et prendre le temps de parler de l’avenir, de notre avenir…”

– “Je ne me soumettrai jamais à vous, quant à l’avenir, j’ai déjà commencé à me le construire en vous défiant !”

François ne pouvant plus se contenir, bondit sur les marches de l’escalier et réussi à attraper l’épaule gauche d’Hélène en lui déchirant les manches de sa robe rouge pour l’entraîner vers le bas mais elle parvint à se détacher en coupant le tissu avec le tranchant de son épée puis recula pour remonter sur le palier suivant. François lui cria :

– “Maudite, tu vas le payer cher cet affront’’

        François à nouveau engagea une nouvelle attaque en remontant les marches très rapidement, les deux lames se croisèrent et par un geste circulaire, François pris la lame d’Hélène en lui perçant le muscle de l’épaule gauche, la pointe de l’épée de François ressortit aussitôt, Hélène lâcha son épée de douleur, porta sa main sur son épaule meurtrie alors que Nahil, sur le palier supérieur, lança une petite grenade en verre poli, remplie de poudre devant François et au contact du sol, elle explosa dégageant une impressionnante fumée noire, tellement intense que François se trouva au milieu de ces fumerolles, ne voyant plus rien, il entendit un bruit de carreaux se briser, suivi du cri d’Hélène. Peu à peu la fumée se dispersa dans l’escalier, Jacques tendit une torche à François et ensemble ils regardèrent le haut de l’escalier. Une grande partie de la fenêtre à croisée avait été détruite du côté gauche et un morceau de tissu de la robe rouge d’Hélène était recouvert de sang, accroché à un des meneaux en bois, la manche tailladée flottait au vent comme un oriflamme et les yeux stupéfaits de François restèrent figés le temps de réaliser ce qui venait de se passer. En un instant l’orage grondait à nouveau, le vent s’engouffrait dans la volée d’escalier, François regarda la fenêtre brisée et demanda à Jacques de descendre dans les douves récupérer le corps d’Hélène et insista pour rester le plus discret possible et de ne pas attirer l’attention, personne ne devait savoir ce qu’il s’était passé ; quant à Nahil, François était monté tout en haut de la tour pour le chercher mais il ne le trouva pas, aucune trace de son passage et pensa qu’il pouvait être capable de toutes sortes de sorcelleries, un pouvoir de disparaître pour mieux réapparaître !

        Jacques était remonté des douves, essoufflé, le cœur battant, il n’arrivait pas à dire à François qu’il n’avait pas trouvé le corps et qu’il avait cherché tout le long des douves jusqu’à la rivière du Lez. En ce soir d’orage, le Lez était sorti de son lit ; il essaya de lui faire admettre que le corps aurait été emporté par la rivière en crue :

– “Maître, n’ayez crainte, demain au lever du jour, je partirai seul le plus loin possible et je suivrai le long de la rivière pour essayer de la trouver.”

– “ Jacques, si par un malheureux hasard, tu trouvais le corps, tu devras le faire disparaître ; Nahil ce maudit sorcier a dû l’envoûter et lui aussi a disparu dans la tour, par quelle magie, par quelle audace a-t-il pu me trahir ? Il faut le retrouver à tout prix, je compte sur toi mon brave Jacques !”

Le lendemain matin à la première heure Jacques partit à cheval mais ne revint qu’en fin de journée après avoir parcouru plus de dix lieues, il n’avait pas réussi à trouver le corps mais il récupéra un morceau de la robe rouge d’Hélène, ce qui lui fit penser qu’elle avait bien été emportée par le Lez.

Depuis ce jour, François se mura dans un mutisme pendant plus de six mois et regretta d’avoir agi de la sorte et se rendit responsable de la mort d’Hélène.

En ce mois de septembre, au vingt-unième jour de l’année 1562, plus personne n’entendit parler de Dame Hélène et de son précepteur Nahil. La première guerre de religion avait commencé au mois de mars, et depuis, le Royaume de France vivait au rythme des massacres, viols et pillages des villes du Languedoc jusqu’en Guyenne. Le chef catholique Blaise de Monluc semait la terreur sur son passage et usait largement de son dicton : “Un pendu étonne plus que cent tués”, disait-il. 

Un jour dans la foule, au passage des hommes de garde de la cité, on entendit crier :”Est-ce que Dieu aime faire la guerre, qui peut me répondre !? Personne ne répondit à la question mais la voix du sang aurait ajouté :

– “Non ! Ce sont les hommes qui utilisent Dieu, pour se justifier de vouloir faire la guerre !”


[1] Un quillon est une tige issue de la garde de l’épée ou résultant d’un allongement de celle-ci permettant, par sa position perpendiculaire à la lame, de bloquer une lame adverse filant le long de l’épée et ainsi de protéger la main de l’escrimeur.

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La Fenêtre Scellée – Septième partie 1/2

Textes, dessins et voix de Thierry Laruelle

Musique de : Claude Gervaise (1525-1583) Musique de la Renaissance et Dark Music.

Avec mes remerciements pour l’aide précieuse de Monique Giraud et le Site Remarquable de Herodote.fr pour l’aide historique.

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Chapitre VI – L’Illusion.

Chapitre VI – Partie I – L’Illusion.

Le départ du cortège royal aura pris une journée entière de préparation pour quitter ce lieu de festivités. Peu à peu, le ciel s’obscurcit brusquement au coucher du soleil ; le vent du nord se met à souffler de nouveau avec une grande violence. Bien que le vent fasse bourdonner les murs du château, un silence lourd tombe sur la cité, tout redevient étrangement calme ; il n’y a plus personne dans les ruelles, le village semble exempt de toute vie ; tel un phare dans la nuit, le château fait face désormais à son destin. Crescendo les rafales de nouveau font crépiter les oriflammes comme les voiles d’un bateau et gagnent avec force le chemin de ronde qui siffle au passage de chaque bourrasque. Non loin dans la garenne les nuages en rouleaux noircissent l’horizon qui disparaît sous des trombes d’eaux, la rivière le Lez se transforme en un torrent de boue, le rythme fugace des éclairs projette sur la forêt de Hêtre un décor de ténèbres et transforme le houppier des arbres en monstres mythiques. Tout autour de la cité les feuilles des frênes sont aspirées par la tornade et se transforment en une nuée envoûtante dans le ciel éclairé par la foudre. Le vent masque la chute du dernier chêne du village, il plie aux rafales et s’incline dans un craquement que le vent emporte aussitôt.   

Au petit matin, Les murs de la cité se souviendront longtemps de cette terrible nuit d’orage qui ressemblait trait pour trait à celle de l’année de 1562 quand le Seigneur de Bailleul participa à sa dernière campagne de persécution contre les huguenots. Ce jour-là, la foudre initiait la folie meurtrière des hommes, poussée par l’absence d’humanité. Les soldats du Pape chargeaient la foule piégée au fond de la grange, accompagnés par le bruit du tonnerre ! Le massacre de Wassy engendra la première guerre de religion. Chaque ville fit l’objet de rudes combats et c’était à celui qui réussirait à s’emparer du plus grand nombre de villes pour étendre son influence. C’était aussi une guerre au centre de l’Europe, les anglais et les allemands étaient du côté protestant et les espagnols du côté catholique. Bizarrerie sur l’échiquier de la moralité en politique, Catherine de Médicis et son fils Charles IX ont été secourus par le prince de Condé qui était un chef militaire des réformés ; il les conduisit à Fontainebleau pour les protéger contre la ligue catholique.

Six mois plus tard, en ce mois de septembre 1562, jour pour jour, les violents orages accablaient à nouveau cette belle région de la Drôme, protégée de toutes ces atrocités, comme si en ces temps farouches, la nature voulait infliger une lourde peine aux hommes et leur faire reconnaître leur barbarie. Les pluies diluviennes et le froid glacial achevaient le moral de ces derniers soldats à pied ; hommes et chevaux épuisés par de longues marches forcées de nuit comme de jour, traversant les campagnes depuis la région de Wassy, ravagées par la guerre, des villages entiers dévastés aux champs de blé incendiés, ils revenaient en silence sur des chemins défoncés qui n’étaient plus entretenus. Le ventre creux par tant de privations, ils arrivaient dans la Cité de Suze après avoir marché pendant plus de vingt lieues.

Au château, les cantinières étaient à pied d’œuvre dans la salle de garde qui résonnait à chaque coup de foudre, le vent violent faisait claquer les portes, le four à pain était déjà à la chauffe et dans les marmites au coin du feu, mijotaient une bonne soupe épaisse de lards et de choux. La température sous les voûtes de la salle, malgré le froid intense à l’extérieur, donnait du baume au cœur à plus de soixante soldats tremblant de froid ; la bonne odeur de cuisine se propageait autour d’eux, ils étaient tellement épuisés qu’ils ne bavardaient plus, ils voulaient juste manger et boire pour se réchauffer. Demain, ils feraient peut-être la fête, sans oublier de chanter la ritournelle à ces femmes de troupes qui participaient bien malgré elles, à sauver les âmes de ces pauvres bougres !

Le seigneur François de Bailleul rejoignit sa chambre, anéanti par ces journées de terreur, il était aussi sombre que les nuages dans le ciel et demanda à l’une de ses domestiques de faire venir Hélène au plus vite ; personne ne savait où elle se trouvait !

– “Où est-elle” disait-il, “Trouvez là, j’ai quelque chose d’important à lui dire et si vous ne la trouvez pas demander à Nahil de la faire venir, c’est urgent”

– “Bien Monsieur”

        Pendant que l’on cherchait Dame Hélène, Juliette prévenait François de ce qu’elle avait vu dans le secrétariat, quand Hélène était en train de fouiller le coffre aux archives :

– François demanda : “Sais-tu ce qu’elle a découvert ?”

– “Oui Maître, sa véritable identité et le passé de sa famille !”

– “Mais toi, comment le sais-tu ? Connais-tu l’existence de ces documents ?

– “Non Maître, vous pouvez me croire ! Je l’ai appris quand j’ai entendu parler Hélène et Nahil !”

– “Alors c’est elle qui avait défoncé la serrure du coffre ?”

– “Certainement Monsieur !” répondit Juliette.

– “Comment a-t-elle pu ? se disait-il, face à la fenêtre à croisée.

– “Moi qu’il l’a sauvée de la mort, élevée et choyée… je suis sur le point de lui offrir un titre de noblesse en l’épousant pour qu’elle devienne la Marquise de ces lieux ; avec son nom de Rocheclaire, nous allons pouvoir agrandir notre influence jusqu’à Montélimar ; sa réponse ? Me fuir à mon arrivée après six mois d’absence et fouiner dans mes affaires pour chercher à me nuire. Mais de quelle diablerie est-elle encore capable ? Voilà deux années que j’attends en vain qu’elle veuille bien me prendre pour époux ! Cela suffit ! J’ai trop attendu, soit elle accepte de m’épouser, soit elle repartira rejoindre sa mère en prison ; quand je pense qu’il a fallu, que j’organise le rapatriement de sa mère de lorraine en Avignon pour qu’un jour, je puisse la faire libérer ; ce n’est pas ma faute, si elle était déjà morte. Je ne pouvais pas lui avouer. Je suis vraiment trop bon avec elle, je lui ai passé trop de caprices. Réveille tout de suite, Jacques mon écuyer, je la veux sur le champ à mes pieds pour qu’elle comprenne qui est son maître “

– Juliette “Bien Monsieur, ne vous inquiétez pas, nous allons vous la ramener !”

– “J’ai dit tout de suite !” cria-t-il. “Je veux que l’on fouille entièrement toutes les pièces de ce château, qu’il ne soit pas possible qu’elle puisse continuer de me ridiculiser de la sorte !

Juliette découvrit un nouveau visage de François et commença à regretter de l’avoir averti ; il se mit subitement dans une colère énorme et réveilla tous les domestiques pour la trouver.

Nahil son précepteur avait anticipé la réaction de son maître et il avait demandé à Hélène de quitter le château la veille de l’arrivée des troupes mais elle avait refusé pensant qu’il serait compréhensif et qu’un jour, il lui dévoilera la vérité ; ce n’était pas sans compter sur les enjeux de ce mariage car elle ne pouvait imaginer un instant la brutalité et l’ambition de cet homme. A deux heures du matin, Jacques Faivre la retrouva dans le village, accompagné par deux soldats, Hélène frigorifiée, ne disait mot et se laissa emmener par les soldats. Jacques la présenta dans la chambre de François, Nahil quant à lui, resta introuvable. 

– François “Que l’on nous laisse seuls !” Jacques quitta la chambre de François et prit position derrière la porte.

– François “Alors qu’avez-vous à me dire ? Que cherchiez-vous dans ce coffre ? Vous n’êtes pas heureuse ici ? Allons parlez…, ne m’obligez pas…, je ne veux surtout pas que vous pensiez que j’agis contre vos intérêts ; vous aurez tout le temps nécessaire pour connaître votre passé, je vous en fait le serment à la seule condition que vous acceptiez de m’épouser.”

– Hélène, debout face à François “Êtes-vous mon père adoptif ou un prétendant ? … Un père n’épouse pas sa fille que je sache !”

– François “Haha ! Je suis votre Père adoptif, ma mie, mais cela ne compte plus aujourd’hui ; vous deviendrez ma femme que vous le vouliez ou non… je ne souffrirai pas plus longtemps votre impertinence car vous n’avez plus le choix !”

– Hélène “Nous avons toujours le choix Monsieur, si nous voulons rester libre !”

– François “Vous libre ? Si j’ordonne que l’on vous jette dans les geôles du château dès ce soir, serez-vous encore libre ?”

– Hélène “ Apprenez Monsieur, que vous confondez un esprit de liberté et un corps enchaîné. L’esprit, Monsieur agit sur le corps mais l’inverse n’est pas vrai ; sachez que je ne vous appartiendrai jamais, je préférerais délier mon âme de mon corps, couper tous les liens qui me retiennent à cette vie de servitude que vous me proposez et vous céder ce corps sans vie que vous aimez tant !”

– François “ Suffit ma mie ! Vous êtes diabolique et votre esprit quoique vous puissiez en penser, ne peut me résister !”

François se jeta sur Hélène et la repoussa sur le lit à baldaquin, Hélène d’un geste rapide se saisit de la dague de François et le blessa d’un coup violent sur le torse, François tomba à la renverse et Hélène s’échappa par l’autre porte où l’attendait Nahil. Ils partirent tous les deux se réfugier dans la tour principale ; alors que Jacques entra dans la chambre et vit son maître étendu par terre, la main sur son torse, du sang coulait entre ses doigts.

– François “Que fais-tu encore ici, cours vite la rattraper, cette maudite, je te rejoins”

Jacques partit aussitôt et courut en direction de la cour d’honneur et aperçut la lumière froide d’une bougie dans les escaliers qui conduisaient à la tour ; il appela son maître, Hélène, les entendit se rapprocher du piège tendu que Nahil avait imaginé la veille au soir.

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La Fenêtre Scellée – Sixième Partie

Textes, dessins et voix de Thierry Laruelle

Musique de Marin Marais : Les Folies d’Espagne – Tombeau pour Monsieur de LULLY – Sonnerie de Sainte Geneviève du Mont de Paris.

Avec mes remerciements pour l’aide précieuse de Monique Giraud et le Site remarquable de Herodote.fr pour l’aide historique.

Chapitre V – Les trois coups de L’Angélus.

Chapitre V – Les trois de l’Angélus

Au petit matin, il fait toujours aussi froid et les rayons du soleil sont encore cachés par les massifs des baronnies. Tout semble calme mais du côté du jeu de paume, les ricochets de l’éteuf[1] résonnent en écho sur le mur principal et sur les toits. Le jeune Roi, Charles IX très habile au jeu de courte paume, dispute une partie avec l’un de ses maîtres d’armes ; Paul d’un geste maladroit de la raquette envoie la pelote qui frappe la grille et retombe dans le dernier ouvert ce qui donne le point au roi.

-“Sire” lui dit-il, “vous ne me laissez aucune chance de remporter la manche !” Le roi lui répond : ”Mais Monsieur, ne vous inquiétez pas, je ne vous laisserai pas sur le carreau[2] car nous ne faisons que peloter[3] que je sache !”

François de Bailleul assiste à la manche du roi, visiblement ses pensées sont ailleurs ; le visage sombre, il a de la peine à se contenir parmi les quelques personnes qui assistent à cette partie, lorsque, comme poussé par son instinct, il se tourne vers la tour principale. Le rituel a commencé. Ensemble et unis par le même lien, Jacques le forgeron, Juliette et le Marquis aperçoivent une lueur vive et intermittente au travers des embrasures de la plus haute fenêtre. Ils sont les seuls à l’apercevoir ; l’apparition devient de plus en plus intense, presque hypnotique, sous cet effet, une silhouette peu à peu se matérialise derrière le flou blanchâtre du halo de lumière ; un masque vénitien apparaît à la fenêtre d’Hélène. Une profonde angoisse les envahit tous les trois au même moment quand sonne l’Angélus, par trois coups successifs. Jacques lâche à nouveau sa tenaille rougie par le brasier de sa forge, l’outil en tombant, résonne sur les pavés de pierres en un bruit métallique assourdissant à le harceler au plus profond de son être ; Juliette dans sa chambre pense voir surgir le visage d’Hélène dans une auréole de lumière puissante qui la pétrifie :

 La voix lui dit : “Tu m’as trahie”, Juliette crie d’effroi en se signant, se jette sur son lit et se replie sur elle-même comme pour se protéger de cette vision. La main gauche de François est serrée sur le pommeau de sa dague ; il ne peut se retenir de fixer la lueur, il se sent envahi par cette vision et fuit pour ne pas montrer son affolement en se réfugiant dans la chapelle. Les domestiques à l’extérieur sont surpris par l’attitude du seigneur de Bailleul et le Roi s’aperçoit de l’absence de son hôte et demande à son maître d’armes :

– “Où est donc passé Monsieur de Bailleul ? Peut-être qu’il s’est ennuyé de nous voir jouer !?” Ajoute-t-il, “ Paul, à qui puis-je encore faire confiance ?”

– “A moi Sire, vous me devez une revanche à l’escrime”, “non pas aujourd’hui, mon ami, j’ai bien peur que vous perdiez à nouveau !” “Comme, il vous plaira mon bon Roi”

Le Roi sort du jeu de paume, légèrement agacé par ce départ précipité de François et se demande si vraiment, il ne lui cache pas quelques secrets ! Le Roi se dirige vers le château au pas de course, suivi du maître d’armes et précieux garde du corps, Monsieur Bertrand de Fargeac, toujours prêt à toutes les situations, pour défendre son roi au péril de sa vie. Tous les deux empruntent le pont médiéval qui donne sur la cour d’honneur, “ Sire, que pensez-vous de cette matinée d’entraînement ?” Charles, dans ses pensées, ne prend pas la peine de lui répondre.

François a repris ses esprits et ressort de la chapelle, juste après le départ du roi et se retrouve face à deux jeunes nobles en armes qui étaient présents au jeu de paume. Michel de Châtillon et Didier de Lorgerac, un peu par provocation, le mettent en garde avec leur rapière[4],

-”Alors, Monsieur de Bailleul, vous osez attrister notre roi en quittant la partie. Vous n’aimez pas le jeu de courte paume, Monsieur le Marquis ?”

-”Que nenni, Monsieur, que nenni !” Légèrement agacé par la question.

– Michel de Châtillon dit : “On nous dit que vous étiez à Wassy avec François de Guise, il y a deux ans. Est-ce bien vous ?”

– François répond : ”Suis-je accusé de quelques allusions ou souhaitez-vous recevoir une leçon d’escrime Gentilshommes ?”

– Michel : “Il y a un temps pour tout Monsieur le Marquis, mais si j’en crois les informations dont je dispose, vos troupes l’année dernière étaient censées protéger notre Chef de Guerre François de Guise[5] pendant le siège d’Orléans ?”

– François : “Au fait, Monsieur le Gentilhomme, venons-en au fait, je vous prie.”

– Michel “j’y viens, Monsieur, j’y viens, la vérité montre votre incompétence à transmettre des instructions à vos hommes d’armes, Monsieur, autrement dit, vous l’avez laissé se faire assassiner par un sanguinaire protestant”

François ne peut plus se contenir et réagit avec une force inouïe.

– “Petits vilains, que vous êtes, je vais vous botter les fesses et vous apprendre les bonnes manières, en garde gentilshommes !”

L’attaque de François sur ses deux adversaires surprend les jeunes nobles, Didier de Lorgerac bascule à la renverse et Michel de Châtillon arrive à se dérober et évite de peu la lame aiguisée de François de Bailleul. Le combat s’engage par une attaque de François : il allonge son bras, par un mouvement progressif d’avancées et de fentes,[6] Il repousse ses deux assaillants et fait battre le fer aux deux lames. Michel le plus téméraire réussit à feinter par une balestra[7] tandis que Didier perd sa rapière et François en profite en lui portant l’estoc, le pauvre bougre ne demande pas son reste et s’enfuit, tout en esquivant la lame de Michel avec sa dague. François repousse Michel avec le pied posé sur son torse et d’un coup d’épaule, Michel de Châtillon se retrouve dans le bassin ovale aux carpes.

– François “Alors Vilains, voulez-vous toujours jouer aux petits soldats ? N’avez-vous jamais vécu bataille pour que vous ayez envie d’y participer une première fois ? De vous trouver en rase campagne les pieds dans la boue, à faire fuir une compagnie de rats par votre odeur, le courage d’un soldat Messieurs, n’est pas de tuer votre adversaire mais de contrôler votre propre peur, autrement dit la peur de mourir ; quand vous serez couvert du sang de votre adversaire, quand vous aurez admis que vous êtes descendu en enfer et que tout autour de vous, vous voyez vos amis se faire transpercer par des lances ou perdre leur tête par un boulet de canon ; quand vous aurez perdu tout espoir de survivre alors vous prierez Dieu pour vous éloigner un instant de la mort ou vous vous en remettrez au Diable pour vous enfuir de cette peste que représente la guerre mais dans les deux cas, Messieurs, vous n’aurez plus envie de vous battre, seulement de survivre !”

Michel quitte le lieu sous les quolibets des spectateurs qui ont pu apprécier la leçon d’escrime. Arrive de nouveau le Roi :

– “Monsieur, je vous cherchais et l’on me fait dire que vous avez donné une belle leçon de vie à ces deux gentilshommes et bien que le bon Dieu vous garde ! Je ne vous en remercierai jamais assez Monsieur le Marquis car vous ne pouvez pas imaginer ce qui se pratique aujourd’hui dans la plupart des villes, on prend l’habitude de s’entretuer en duel, parce que c’est la mode ou par élégance, peut-être même par plaisir, sachez que, rien que l’année dernière, sans compter les dernières batailles que nous avons livré pour libérer le Havre du joug anglais, nous avons perdu au moins plus quatre cents gentilshommes en duel, quel gâchis, vous ne trouvez pas ? Eh bien, je vous dirai assez, cela suffit ! Que l’on fasse choir cet abus et imaginons un cadre qui permettrait d’établir les statuts d’une académie de l’escrime[8] et faire en sorte que cette discipline soit enseignée par des gens qualifiés pour apprendre à ces gentilshommes, à mourir pour l’honneur de leur Roi et non pas pour eux-mêmes, quel sacrilège ! Mais dans l’art d’une discipline que toute l’Europe nous enviera ! Vous ne trouvez-pas ?”

François fait mine de répondre, mais il est coupé dans son élan…

– Le roi reprend : “Monsieur, sachez que Madame ma mère et moi-même, avons apprécié cette étape, mais mon devoir m’oblige à quitter promptement cette cité car nous devons rejoindre au plus vite Toulon et Marseille, visiter les constructions navales car notre avenir est aussi sur les mers et le Royaume d’Angleterre a déjà une longueur d’avance sur nous !”

Le roi fait demi-tour et revient vers François :

– “Ha ! J’oubliais Monsieur de Bailleul, cet étrange phénomène dans la tour principale, vous savez ? J’ai pu l’observer moi-même, étrange vraiment, est-ce donc votre secret cher Marquis ?”  Puis il part.

François ne répond pas et le roi se retourne une dernière fois comme pour le surprendre et voir sa réaction. François s’incline à nouveau devant le Roi.


[1] C’est une pelote ainsi dit à cause qu’elle est faite d’étoffe, garnie d’étoffe.

[2] « Rester sur le carreau » Le sol d’un jeu de paume était autrefois constitué de carreaux, qui donnèrent ensuite le nom au sol même du jeu. L’expression vient donc de la chute d’un joueur ou de sa défaite.

[3] Peloter, c’était jouer sans enjeu en attendant une partie, simplement pour le plaisir…

[4] La rapière est une épée longue et fine, à la garde élaborée, à la lame flexible, destinée essentiellement aux coups d’estoc.

[5] François de Guise est le chef des catholiques durant la première guerre de Religion. En particulier, sa responsabilité est discutée dans le célèbre massacre de Wassy, Il meurt moins d’un an plus tard, pendant le siège d’Orléans, le 24 février 1563, d’un coup de pistolet tiré par un gentilhomme protestant, Jean de Poltrot de Méré.

[6] Fente : Partie du développement consistant en une détente de la jambe arrière combinée avec une projection de la jambe avant.

[7] Balestra : Conjonction d’un bond en avant et d’une fente.

[8]  Le roi Charles IX autorise en 1567 les maîtres d’armes à se réunir en une association qualifiée d’« Académie des Maîstres en faits d’armes ».

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La Fenêtre Scellée – Cinquième Partie – 2/2

Textes, dessins et voix de Thierry Laruelle

Musique : Silvius Léopold Weis, Lute Sonate – Emotional Dark Music

Avec mes remerciements pour l’aide précieuse de Monique Giraud et le Site remarquable de Herodote.net pour l’aide historique.

Chapitre IV – Partie II – L’Innocence et la Culpabilité

Chapitre IV – Partie II – L’Innocence et la Culpabilité

Juliette, l’ancienne dame de compagnie de dame Hélène est âgée aujourd’hui de vingt-quatre ans. Bien souvent, elle a tenté de séduire le Seigneur de Bailleul après la disparition d’Hélène mais elle n’est devenue que l’une de ses maîtresses parmi tant d’autres. François s’est refermé sur lui-même, il comptait beaucoup sur un éventuel mariage avec Hélène mais après ces deux années passées dans la culpabilité, l’homme s’enfonça dans la peine et il perdit à la fois la chance d’avoir un héritier avec Hélène mais aussi les terres de son cousin le seigneur de Rocheclaire. Juliette aussi est amère et se sent bafouée, elle a sacrifié sa vertu pour lui et l’avenir s’est refermé devant elle ! Sa famille faisait partie de cette petite noblesse, de condition très modeste car il n’y avait pas assez de terres pour transmettre à l’aîné ; alors son père, après le décès de son seul fils, la confia au seigneur de Bailleul, “elle fera son petit chemin et si elle est sage, elle sera récompensée !” disait-il ! Elle ne revit plus jamais ses parents après avoir été placée à l’âge de douze ans ; ils durent quitter la région sans le sou pour partir sur les chemins vers Marseille, peut-être dans la construction navale, là où le travail peut vous permettre de survivre.

En fait, c’est Juliette qui avait découvert la véritable identité d’Hélène en forçant le coffre dans le secrétariat de François qui le croyait bien à l’abri des regards indiscrets ; à l’intérieur du coffre, elle trouva les documents et la véritable identité d’Hélène. Depuis le jour où son maître la rejeta, hantée par la colère, elle n’avait de cesse de se faire justice et de se venger. C’est elle qui propagea avec malice dans le village et aux alentours des rumeurs et des superstitions ; elle ne pouvait imaginer les terribles conséquences à venir. Habile par son expérience de faussaire pour le compte de son maître, elle influença les villageois à faire courir la rumeur qu’Hélène était la fille d’un hérétique, mort sur le bûcher en Avignon et que nous nous rendions complices devant le tribunal ecclésiastique de protéger la fille d’un assassin protestant mais aussi de colporter que le marquis de Bailleul avait établi un acte falsifié pour épouser sa fille adoptive sous l’influence diabolique d’Hélène, fille d’un huguenot. Juliette poussa même le vice à demander aux villageois de réclamer la vérité à leur seigneur car ils ne voulaient pas être punis par la colère divine ; la réponse fut expéditive, sous les ordres du chevalier de guet, une dizaine de soldats furent envoyés sur les lieux et trois pauvres malheureux se retrouvèrent dans les geôles du château. Tout était encore si fragile, pour François de Bailleul, il ne fallait pas laisser la place au débordement et le risque de déclencher une nouvelle guerre civile entre catholiques et protestants, pouvait être allumée par la moindre étincelle d’intolérance !

Au château, François de Bailleul est seul dans le secrétariat, le regard perdu, la chemise de dentelles ressort de son haut de chausse, le pourpoint matelassé est déboutonné faisant apparaître une cicatrice sur son torse, il est abattu. Il a un mauvais pressentiment mais il n’arrive pas à comprendre d’où vient ce mal être. Il ressent dans son corps des sensations bizarres qui passent du chaud au froid, il transpire comme s’il avait de la fièvre. Auparavant, une servante lui avait apporté, un morceau de pain, un bol de soupe et une bouteille de vin ; la bouteille est brisée par terre. Il s’est enivré à ne plus avoir soif du meilleur vin rouge Pontifical de Malaucène ; peu à peu des images lui reviennent, la fièvre ou peut-être est-ce le vin qui lui provoque des hallucinations ?

 Debout, à moitié dévêtu, armé de son épée, il se bat contre ses propres démons, il fait renaître ses combats éclairs, au corps à corps, il ressent une présence qui plane autour de lui. C’est un homme courageux, il a vécu de nombreuses batailles que ce soit au nom du Roi ou pour l’armée du Pape ; il n’a pas peur des combats rapprochés, du bruit des armes qui s’entrechoquent, des soldats qui tombent autour de lui criblés par des lances insolentes, l’odeur du charnier, il connaît le goût amer de la victoire et le silence de la mort ; pourtant ce soir, la peur le prend par surprise, il n’arrive pas à se contrôler. Ses mains sont devenues froides, son corps se raidit, les muscles de ses bras lui font mal, particulièrement cette vieille blessure à sa jambe gauche qui le fait encore souffrir, toutes ces douleurs montent crescendo, de plus en plus fortes, de plus en plus douloureuses ! Il crie et porte ses mains à sa tête, la peur cette fois le fait plier, l’oblige à se soumettre ! On frappe à la porte, il se relève, épuisé par ce qu’il vient de subir :

– “Qu’y a-t-il ?” d’un ton affligé, le secrétaire derrière la porte lui répond :

– “Maître, le Roi et La régente vous demandent”

– “Dites-leur que j’arrive tout de suite !” François sort de son secrétariat après avoir remis toutes ses idées en place, ses vêtements en ordre et se dirige vers les salons où se trouvent la Régente et le Roi.

Juliette était dans l’autre pièce adjacente, elle a tout entendu. Elle aussi a ressenti les mêmes sensations bizarres, elle a perçu des voix, des sifflements, elle pensait que cela venait de l’extérieur. Elle a eu plusieurs fois des nausées dans la journée, des maux de tête l’ont obligée à rester couchée dans sa modeste chambre, elle se croyait malade et pensait que c’était le bol de soupe qui l’avait incommodée. Ayant entendu son maître dans le secrétariat, elle comprit que quelque chose d’anormal était en train de se dérouler.

Derrière la porte, Juliette est accablée, les mains serrées sur son mouchoir de lin, les yeux remplis de larmes, la gorge serrée, Juliette a mal ; seule désormais avec personne à qui se confier, seule avec sa conscience, elle a trahi pour lui, falsifié des documents et des balances de comptes dans l’espoir d’un mariage incertain. Aujourd’hui elle a le sentiment d’avoir été abusée. Dans le couloir, elle voit passer son maître en grande tenue pour retrouver ses invités prestigieux.

À l’extérieur de la cour d’honneur, on prépare les artifices, des torches sont allumées. Ce soir le ciel est étoilé, le vent a laissé la place à la douceur de l’automne, les musiciens et les danseuses sont prêts à lancer les festivités ; de jeunes nobles habillés dans les plus beaux tissus de velours et de brocards aux multiples reflets, s’inclinent respectueusement devant leur Roi et la Régente Catherine de Médicis, la fête peut commencer !

Juliette, une dernière fois regarde derrière elle et ouvre le secrétariat de son maître, tout est en désordre, les livres sont au sol, les étagères sont cassées, l’un des carreaux de la fenêtre est brisé d’où le courant d’air s’engouffre avec force, l’encrier est renversé sur les manuscrits et l’encre s’écoule lentement sur le sol comme des taches de sang qui auraient noircies de trop de blessures de l’âme et les bougeoirs ont basculé sur le meuble d’écriture, comme les pièces d’un échiquier pour signifier la fin d’un acte.

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La Fenêtre Scellée – Cinquième Partie – 1/2

Textes, dessins et Voix de Thierry Laruelle

Musique : Silvius Leopold Weis – Lute Sonate, Emotional Dark Music

Avec mes remerciements pour l’aide précieuse de Monique Giraud et le Site Remarquable de Herodote.net pour l’aide historique.

Chapitre IV – Partie I – l’Innocence et la Culpabilité

Chapitre IV – Partie I – L’Innocence et la Culpabilité

Depuis ce jour, du-vingt-un septembre 1562, deux années se sont écoulées après la disparition mystérieuse d’Hélène et de Nahil. Dans le village, nombre de villageois ont bien cru apercevoir Hélène, un soir de pleine lune, en haut de la dernière fenêtre à croisée. Seul son esprit a résisté à la mémoire de ces gens. Depuis peu, le même phénomène se reproduit bizarrement, quelques personnes ont à nouveau pu l’observer. Jacques Faivre en fait partie et lui seul, connaît les causes et la nature de ses tourments. Sa conscience, sans cesse, lui oppose deux vérités, l’une par devoir envers son maître et l’autre un sentiment de culpabilité qui le tenaille.

 Jacques continue à boire ce vin qui a un goût prononcé voire plutôt salé. Il se trouve toujours dans un état semi-conscient, sous influence d’une force vive qui l’oblige à se soumettre. Allongé dans sa forge, le bol de soupe entre ses jambes est vide cette fois, le morceau de pain est à moitié consommé et le pichet de vin est brisé par terre, tombé de la table. Une lueur blanche éclaire son visage. Jacques regarde ses mains qu’il avait portées à ses joues, elles sont recouvertes de sang et ses yeux lui font mal ; il voit quelque chose en face de lui qui le fixe ! Une onde de lumière l’entoure et l’accompagne dans tous ses gestes. Une étrange sensation de froid le fait trembler, il se sent envoûté par ce faisceau glacial, passant du chaud au froid, la voix l’implore de lui obéir, la peur le saisit, il cherche désespérément sur la table, le pichet de vin mais il commence à comprendre ce qu’elle attend de lui et refuse d’y croire.

 Sous l’influence d’une force vive, il revoit alors son passé de soldat défiler et commence son récit essoufflé, puis doucement, il s’apaise :

– “Le seigneur François Bailleul m’a sauvé du bûcher, j’étais accusé d’hérésie. J’ai été élevé par des moines mais j’ai tout de suite rejeté la religion ; mes parents ne pouvaient plus me nourrir, la famine avait précipité mon départ et ils prirent la décision de me confier aux franciscains de la Cordelle à Vézelay en Bourgogne à l’âge de douze ans. Un mal pour un bien puisque j’ai pu apprendre à lire et à écrire, j’ai découvert les métiers de l’artisanat et j’ai fait mon apprentissage avec un mestre[1] forgeron. Le jour de mon arrestation, j’avais à peine dix-huit-ans, je me sentais suffisamment habile et fort pour mettre en difficulté deux ou trois soldats. Le Seigneur de Bailleul présent ce jour-là avec sa garde, avait apprécié mon habileté et mon courage, il donna l’ordre d’arrêter l’escarmouche et me demanda en souriant de quoi j’étais accusé ? Je lui répondis que j’avais commis des actes de blasphèmes envers l’église catholique”.

– “Bougre” dit-il, “tu n’es pas un huguenot, j’espère ?”

– “Je lui rétorquais que j’avais suivi un enseignement chez les franciscains et je savais lire et écrire” – “Bien”, dit-il, mais il ne savait pas que les franciscains enseignaient l’art du combat rapproché, me dit-il en plaisantant. Le Seigneur de Bailleul me défendit devant le tribunal ecclésiastique et je fus libéré assez promptement. Je lui serai redevable tout le reste de ma pauvre existence de m’avoir sauvé la vie et de m’avoir permis de devenir son écuyer de corps, un an plus tard. Je le suivais partout dans toutes ses campagnes militaires ou l’esprit divin avait disparu depuis longtemps. Il y a une vingtaine d’années, nous partîmes de Marseille vers le Luberon, sous l’autorité de l’armée du Baron d’Oppède, pour persécuter les Vaudois devenus protestants. Lors de ce massacre, dans les environs de Mérindol, nous avons pillé de nombreux villages, égorgé femmes et enfants sans la moindre hésitation, nous ne ressemblions plus à des hommes mais à des bêtes féroces, puantes du sang de leurs victimes. Certains de nos soldats pris de folie, sans limite dans la torture, brisaient les jambes et les mains de ces pauvres bougres pour leur faire abjurer l’hérésie ; moi-même, dans cette ambiance de haine, portée par des esprits diaboliques, je donnais l’ordre de brûler les maisons de ces réformés, d’égorger leurs troupeaux, de mettre le feu dans les champs pour affamer les populations qui ne voulaient pas renoncer. Oui, moi aussi j’ai été entraîné dans cette folie meurtrière, aujourd’hui je suis un maudit, un maudit qui préférerait l’enfer à cette vie passée !”

Il s’arrache les cheveux en se tapant la tête avec ses mains, se jette dans le grand bassin et se frotte comme s’il voulait se purifier ; puis dans un geste brusque, il prend une lanière de cuir et se flagelle violemment les épaules dans un mouvement de balancier. Son corps martyrisé durant toutes ses campagnes de guerre, laisse apparaître de nombreuses cicatrices sur le dos et sur les bras. Il frappe avec la rage d’un pénitent, de plus en plus fort, il se fouette pour expier ses actes passés qui le persécutent depuis trop longtemps. Dans la douleur, il essaye de lever les yeux pour rechercher un pardon divin, qui ne trouve pas et que rien ne vient soulager, alors il se replonge dans le passé pour en finir et se libérer de ses péchés !

– “C’est à la suite de cette campagne en pays du Luberon que nous avons fait prisonnier Pierre Barmantois, chef de la résistance des protestants. Sa femme et son fils de quatre ans avaient réussi à fuir. À la demande de mon seigneur de Bailleul, j’ai dû enlever un nourrisson, caché dans une mangeoire que sa mère n’avait pas eu le temps de récupérer, la dernière fille de ce protestant ; mon Seigneur voulait s’en servir de monnaie d’échange. Nous les avons amenés tous les deux dans notre Cité, ici à Suze. Pierre de Barmantois, son père, supplia le Seigneur de Bailleul de sauver sa fille Esther, avant de partir en Avignon pour y être exécuté en place publique, après une semaine de procès et de tortures pour le faire abjurer”.

– Assis par terre, il dit à la voix : “Oui, la petite Esther, c’est Hélène ! Elle a grandi ici dans ce château, son passé lui a été caché depuis tout ce temps. Sous les instructions de François de Bailleul, je déclarais à l’assemblée des notables du village que le Seigneur avait sauvé la fille de son cousin, mort assassiné à Montélimar avec toute sa famille par des huguenots[2] sanguinaires”.

Son cousin, le seigneur de Rocheclaire venait de fêter la naissance de sa dernière fille, prénommée Hélène-Charlotte qui sera assassinée avec ses parents le même jour ; le Seigneur de Bailleul profita de ce drame pour faire falsifier l’acte notarié et l’acte d’adoption d’Esther, en faisant passer Esther pour la fille de son cousin. En usurpant son nom de famille et le prénom d’Hélène, son cousin ainsi occis, n’ayant pas d’autre héritier, le Seigneur de Bailleul pourra légitimement récupérer ses biens et ses terres en épousant plus tard sa fille adoptive.

– “Le Marquis de Bailleul, l’a faite baptiser dans la foi catholique et il a changé son prénom en Hélène. Elle a grandi bien vite, les dix premières années se sont écoulées dans l’insouciance, puis elle est devenue une jeune femme et le regard de son père adoptif a changé à son égard.”

Dans son délire, il imagine que le spectre d’Hélène est derrière lui et l’oblige à parler ; la force invisible empêche le forgeron de se ressaisir, il est sous son emprise et la voix du spectre devient rauque et insistante.

– La voix lui demande : “Allons, allons, parle Jacques, toi le catholique, tu demeures un homme bon, rachète tes péchés avant de mourir, si tu ne veux pas connaître le purgatoire pour l’éternité !”

Il se sent désemparé car il a juré obéissance envers son seigneur mais il ne peut résister à la voix.

– “Il y a… à peu près deux ans… je ne me rappelle plus très bien, peut-être avant le printemps en mars 1562, nous faisions route sur Paris avec notre escorte d’une vingtaine de cavaliers et quarante soldats à pied ; le Seigneur de Bailleul apprend qu’il pouvait rejoindre en champagne l’armée du Duc François de Lorraine, Duc de Guise[3] dans les Terres de Wassy, alors nous sommes partis de Troyes à quatre cavaliers, nous avons mis une journée pour rejoindre le Duc. En fin de journée, nous sommes arrivés à Wassy, nous avons appris qu’il y avait eu un accrochage avec les émissaires du Duc contre des protestants qui pratiquaient leur culte dans une grange à l’intérieur de la ville [4]; cet assaut s’est transformé en un massacre où plus de soixante-dix personnes ont été tuées, femmes et enfants compris. Le Seigneur de Bailleul a souhaité en savoir d’avantage et par un pur hasard, nous avons retrouvé en vie tout proche des lieux, la mère d’Hélène et son frère Abel, âgé de vingt-un ans, ils venaient juste d’être arrêtés par les soldats du Duc. La mère avait reconnu le seigneur de Bailleul ; elle lui cria “Assassin” mais il préféra se taire et les laissa à leur triste sort ! La mère a été certainement jetée en prison mais je sais que le sort d’Abel a été plus terrible, il sera condamné à vie aux galères.”

La voix est revenue calme et claire et lui répond :

– “Quand vous êtes partis, il y a deux ans vers Paris, Esther n’avait de cesse de trouver les traces de son passé, elle avait compris que son père adoptif lui mentait depuis toujours sur ses origines. Un jour, elle croyait être seule, pensant à tort que les domestiques et les dames de compagnie étaient sorties, elle réussit à trouver des archives, dans les appartements de François de Bailleul. Dans un coffre bien caché, mais mal verrouillé car la serrure avait été forcée, de nombreux documents s’y trouvaient et notamment les comptes rendus de l’arrestation de Pierre Barmantois, son acte d’accusation d’hérésie et sa condamnation au bûcher en Avignon. Elle n’a pas compris tout de suite, à la première lecture, mais au milieu de ces manuscrits, il y avait un morceau de parchemin très abîmé, l’écriture était à peine lisible sur lequel était inscrit le nom d’Esther Barmantois, âgée d’un an. Sur ce parchemin, Pierre avait écrit qu’il renonçait à la Réforme pour sauver son enfant. Cet élément lui permit de comprendre qu’il s’agissait de son père ! A l’instant où elle mit la main sur ces archives, Juliette surprit Esther et s’enfuit aussitôt. Esther avait eu peur de ce que Juliette ferait et de ce qu’elle pourrait dire au retour du Marquis. »


[1] (Vieux) ancienne orthographe de maître.

[2] Les huguenots sont les protestants du royaume de France et du royaume de Navarre pendant les guerres de Religion.

[3] François de Guise (1520-1563), Il prend la tête du parti catholique et il est responsable du massacre de Wassy (mars 1562) qui ouvre la première guerre de Religion. Il est assassiné le 18 février 1563 devant le siège d’Orléans par un gentilhomme protestant, Jean de Poltrot de Méré.

[4] Une assemblée de protestants se tenait dans une grange située à l’intérieur de la ville, ce qui constituait une entorse à l’édit de janvier qui n’autorisait le culte protestant qu’à l’extérieur des villes.

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La Fenêtre Scellée – Résumé Mix I

Résumé des quatre premières parties, du prologue au chapitre III

Résumé Mix 1 – La Fenêtre Scellée du Prologue au Chapitre III
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La Fenêtre Scellée – Quatrième Partie

Textes, dessins et voix de Thierry Laruelle

Musique de : Lully Armide – Télémann Tafelmusik – JS Bach Evangelina Mascardi – La nuit des Rois, Fêtes Royales Jordi Savall.

Avec mes remerciements pour l’aide précieuse de Monique Giraud et le Site remarquable de Herodote.net pour l’aide historique.

L’arrivée de Catherine de Médicis
François de Bailleul
Chapitre III – L’arrivée du Roi Charles IX

Chapitre III – L’arrivée du Roi Charles IX

Le bruit des fers de six frisons, attelés au carrosse de la Régente, fait écho contre les parois du pont, puis en suivant, l’attelage de quatre chevaux de coche du Roi. Toute cette animation dans l’enceinte de la cour d’honneur, le bruit retentissant des deux attelages s’oppose au silence d’une silhouette qui apparaît en haut de la fenêtre, le visage est figé comme dans un décor de théâtre, le front contre la vitre ne montre aucun signe de vie. Ses yeux sont grands ouverts et sa bouche est fermée. Autour de cette forme mystérieuse flotte sur une toile de fond une lumière froide qui peine à s’imposer.

 Le carrosse de la Régente s’immobilise, des domestiques s’approchent du carrosse, l’un d’entre eux, ouvre la portière et tire le marchepied escamotable. François de Bailleul tend sa main vers Catherine de Médicis qui la saisit avec ses gants de cuir parfumés à la fleur d’oranger. Le seigneur fait un pas de côté et tout le monde s’incline devant la Régente.

François de Bailleul, marquis de la Cité, est un homme de quarante ans, il est grand et s’impose facilement avec son charisme naturel, son visage dur, ses yeux noirs, enfoncés dans les orbites qui ne laissent apparaître aucune émotion. C’est un chef de guerre. Veuf et sans enfant, il avait projeté d’épouser sa fille adoptive pour ses seize ans. Il était au service de l’armée de Jean Maynier Président du Parlement d’Aix et organisateur de la persécution des vaudois protestants à Mérindol en 1545. Devenir l’hôte du Roi et de la Régente est une preuve d’honneur et de reconnaissance ; le marquis de Bailleul devra se montrer attentionné envers ses invités.

Le visage de la Régente semble épuisé par ce long périple, elle est vêtue d’une grande robe noire, ornée de manchettes brodées, de bijoux et de pierres précieuses. Elle porte un voile léger sur la tête et une fraise[1] autour du cou, son front dégagé par une coiffure en arrière fait apparaître des rubans dans ses cheveux. Pendant l’éloge du protocole, les domestiques déchargent les valises de cette inépuisable garde-robe, il aura fallu décharger trois chariots pour en arriver au bout !

– François de Bailleul lui demande : “Votre Majesté, bienvenue en Dauphiné, avez-vous fait un bon voyage ?”

-“Monsieur” lui dit-elle : “Ne pensez-vous pas qu’il est temps de croire en une paix durable pour reconstruire notre Royaume de France ? Vous me demandez si j’ai fait un bon voyage, je vous répondrais, Monsieur, que lors de ma prochaine visite, assurez-vous de restaurer au plus vite, les routes et chemins d’accès de votre belle région du Dauphiné car si j’en crois mon cocher, mon carrosse ne finira jamais ce grand tour du Royaume !”

– François de Bailleul : “Sachez Madame, votre Majesté que grâce à vos efforts de pacification dans le Royaume de France, nous aurons en tant que bons catholiques et fervents défenseurs des intérêts de notre jeune Roi, tout le courage nécessaire pour vous satisfaire !”

– La Régente : “Que Dieu vous entende mon ami, et n’oubliez pas que l’heure est à la paix” puis elle rentre par l’escalier d’honneur de cette belle cour qui fait contraste avec la partie médiévale du château.

Tout a été refait à l’occasion de la visite de La Régente et de son fils, on parle d’art renaissant sous influence italienne, tout a été repensé, les fenêtres à meneaux et les croisés en menuiseries, les proportions et la symétrie des motifs tout est harmonie. La décoration intérieure par l’utilisation de la pierre de gypse permet de faire des moulures et des sculptures nouvelles sur les corniches et pour finaliser l’accueil du Roi, le Seigneur François de Bailleul a fait construire un jeu de paume en son honneur.

Le carrosse de la Régente précède celui du Roi et s’arrête devant le grand escalier d’honneur. Sur le point de descendre du carrosse, les mains sur la portière, le jeune Roi aperçoit une lueur en haut de la tour principale, la silhouette est toujours présente, sur le côté gauche de la fenêtre. La garde rapprochée du Roi est alignée suivant un protocole strict ; les musiciens sonnent du cuivre mais un halo de lumière attire le regard du Roi. Il aperçoit avec peine, derrière les carreaux de la fenêtre, une lueur étrange mais il croit deviner le visage d’une femme. Il se demande “Qui peut bien être cette personne ?”

Le jeune Roi ne peut oublier ce qu’il a vu et n’aime pas beaucoup que l’on lui cache des choses. Puis, il se tourne vers son hôte en le remerciant pour l’accueil qu’il lui fait. Il lui pose la main sur son épaule et lui demande :

 -« Monsieur, quelle est cette personne dans la tour qui nous observe ?”.

Le Marquis s’incline devant le Roi, sa question l’interpelle et il ne sait quoi répondre ; il se relève et sourit, fait semblant de n’avoir rien entendu mais le jeune Roi qui n’est pas dupe, s’interroge sur l’attitude de François et réitère la question :

-“Monsieur de Bailleul, cacheriez-vous à votre Roi, une gente demoiselle dans une tour ? Est-elle votre prisonnière ? Et pour quelle raison, cache-t-elle son visage derrière un masque de carnaval ?”

Charles IX sourit et se tourne une nouvelle fois vers la tour face au soleil ; il cherche l’endroit mais les rayons du soleil sont trop intenses et l’empêchent d’apercevoir la fenêtre, la lueur a disparu. Le roi reste immobile lorsqu’une violente rafale de vent, fait tomber le chapeau du Roi, François le ramasse aussitôt et lui dit :

-“Sire, de quelle femme me parlez-vous, que je sache (en souriant) avec tout le respect que je vous dois, Majesté, je suis veuf et vous savez que ma solitude me pèse.”

Le Roi ne l’écoute déjà plus et se retourne à nouveau vers cette fenêtre mystérieuse.

En bas de l’escalier d’honneur, deux gardes du Roi sont déjà prêts à l’accueillir. Le jeune Roi félicite son hôte du travail de rénovation accompli, il est impressionné par les moulures et la décoration de ces lieux, il s’intéresse plus aux arts nouveaux qu’à la politique de son royaume. Brusquement un courant d’air froid glace les esprits, accompagné de rafales de vent intenses qui sifflent avec un crissement strident qui fait hennir les chevaux que les deux cochers peinent à maîtriser ; l’un d’eux cabre, les domestiques qui assistent à la scène crient, le Roi et le Seigneur se mettent à l’abri ; ils sont surpris par cette violence soudaine. Tout autour de la cour d’honneur, un bruit étrange se propage de plus en plus fort, les vitraux et les menuiseries vibrent et claquent au rythme du bruit de tambours puis le vent s’arrête d’un coup ! Un silence oppressant se répand et les chevaux s’apaisent, plus un bruit ! Les domestiques et les soldats en armes semblent être frappés de stupeur et sont effrayés à l’idée que quelque chose de maléfique serait en train de se préparer ; personne dans la cité n’avait assisté à un phénomène aussi inquiétant.

Au même moment dans la forge, Jacques Faivre a ressenti les mêmes effets étranges ; pour faire face à ce phénomène, il s’est mis à boire et boire encore au pichet de vin, que chaque matin, une servante lui apporte avec une soupe et un morceau de pain. Il s’apaise peu à peu et reprend conscience. Il se retrouve par terre ; il est étendu tout près de la grande cheminée. Il a porté ses mains sur son visage, les veines de ses bras sont gonflées, sa tête lui fait atrocement mal comme s’il s’était battu contre des hallucinations, son corps a été comme écartelé par une force vive qui l’a plaqué au sol. Il cherche sa respiration, son souffle court l’empêche de se relever. De la grande lucarne, il regarde à nouveau la tour principale et cherche en vain l’apparition, peu à peu ses esprits lui reviennent, il revoit le visage d’Hélène qui le harcèle de questions, a-t-il compris son message ?

Sur la table, le bol de soupe a été renversé sur le morceau de pain l

Pendant ce temps, dans les appartements de La Régente et du jeune Roi, on se prépare à la fête, tous les corps de métiers sont en effervescences. Les domestiques courent de partout, le maître d’hôtel n’arrête pas de monter et descendre les escaliers. Comme un chef d’orchestre, il dirige tout ce petit monde, valets et domestiques se mettent en ordre de bataille, dans la grande salle à manger pour placer de grandes nappes en lin brodées sur les tables, d’autres préparent la décoration avec des rubans multicolores, on parfume à la fleur d’oranger et on allument les chandeliers ; d’autres encore mettent les couverts dans un bel étui, une fourchette à deux dents, une cuillère en argent et un couteau ciselé avec un manche sculpté dans de la corne, on y ajoute aussi de jolies serviettes individuelles. Il n’est pas question de commettre des erreurs de goût, on ne peut oublier les origines de la Régente, l’Italie si proche nous influence avec ses nouvelles manières de l’art de la table. Les cuisiniers aux fourneaux ont déjà lancé les pâtés à la viande, aux anguilles ou aux tourterelles voire aux bécasses, les fourniers cuisent le pain, les pâtissiers sont au petit soin avec les gâteaux au fromage, enfournent les petits fours, les jeunes apprentis épluchent, coupent, font cuire les légumes, asperges, artichauts sous le regard bienveillant du chef de cuisine. On allume les cheminées, il fait si froid en ce mois de septembre. Les cuisines agencées au sous-sol, permettent de diffuser la chaleur dans la grande salle à manger, embellie cette année de statues antiques et ornée de décors en stuc[2] ciselés, en relief en forme d’arabesque décorent le plafond. Tout est prêt pour recevoir avec faste la Régente et le Roi de France.


[1] La fraise est un col de lingerie formé de plis ou de godrons. Elle est placée autour du cou qu’elle cache et met en valeur le visage de celui qui la porte. On la désigne également sous le terme de collerette.

[2] Le stuc, dont la technique remonte à l’Antiquité, est un enduit teinté dans la masse, à base de chaux. Il est utilisé en recouvrement des plafonds et des murs, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur.

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