« La vengeance n’est jamais initiée par la lumière ».
Textes, dessins et voix de Thierry Laruelle
Musique : M. De Sainte Colombe : Tombeau Les Regrets – Marin Marais : Sonnerie de Sainte Geneviève du Mont de Paris – Jordi Savall : Lachrimae Caravaggio.
Avec mes remerciements pour l’aide précieuse de Monique Giraud et le Site remarquable de Herodote.fr pour l’aide historique.
Epilogue – Fin de la Série : La Fenêtre Scellée.
L’homme s’est reculé de deux pas, il ôte sa capuche pour découvrir son visage, prend le temps de remettre son épée dans le fourreau et regarde Esther dans le silence. Une larme glisse sur la joue d’Hélène en regardant le corps inanimé de François. Elle relève la tête et regarde fixement cet homme pendant que les rayons du soleil traversent les reliefs de la montagne de la Lance et viennent se projeter sur le mur ouest du jeu de paume. Aucun bruit ne dérange la scène, le vent s’est calmé, les branches des frênes ne craquent plus et le corps de François baigne dans un halo de lumière.
Esther et l’inconnu se font face ; non loin, l’odeur de brûlé est encore sensible, seules les dernières fumerolles restent actives parmi les décombres de la tour. Dans le plus grand silence, aucune âme, aucune activité humaine ne vient déranger les lieux.
– Esther : ”Monsieur qu’avez-vous fait ? L’homme d’un geste lent lui tend sa main.
– ”Qui êtes-vous Monsieur, que me voulez-vous ?”
– ”Madame, celui qui m’a libéré de mes chaînes, celui qui a éclairé ma mémoire et placé sur le chemin de la vérité, celui qui vous a rendu la liberté, m’a demandé de retisser ce lien qui nous unira à jamais !”
Esther le regarde attentivement, le regard froncé de méfiance. Cet homme demeure un parfait inconnu.
– Esther : ”Qui que vous soyez, si ce lien que vous pensez indestructible, pourquoi s’en servir pour tuer un homme si promptement ? Sans lui laisser la moindre chance de s’expliquer et voire de lui pardonner !”
– ”Nous avons toujours une bonne raison pour chercher la vérité, même si la vérité est le fruit de notre rancœur. Si cette recherche doit nous conduire à la vengeance, alors notre devoir est de l’accompagner jusqu’au bout de la démarche que nous nous sommes fixés. Je ne compte plus Madame, depuis déjà bien longtemps, les années qui m’ont éloigné de ma famille ; le souvenir de ma mère emprisonnée parce qu’elle était la femme d’un protestant, la mort atroce de mon père conduit au bûcher et la disparition de ma soeur Esther à l’âge d’un an ; alors oui, si toute cette histoire familiale ne compte pas pour vous, je vous dirais pourquoi avoir tué cet homme !? Mais si cette histoire est notre lien, si ce malheur qui nous unit et cette absence, ont affecté notre relation fraternelle, alors je vous répondrais que la vengeance n’a de sens que si vous acceptiez la mort de celui qui s’est rendu coupable de notre séparation !”
– Esther : ”Abel ! Mais comment ? Si Nahil est votre libérateur, je suis certaine qu’il n’a pas pu vous conseiller de vous enchaîner sur le chemin de la vengeance ; la colère n’apporte rien de mieux que le malheur à nouveau. La vengeance ne ramène aucune vie, cet homme n’était ni bon, ni mauvais. Prisonnier de son éducation, il ne voulait ou ne pouvait pas s’en soustraire. Je devais lui demander de libérer ma mère, votre mère, Abel ! Je ne vous connais pas mais je reconnais ce lien qui nous unit ; tous deux, nous sommes les enfants de Jeanne et de Pierre, mais nos vies se sont éloignées par la force des événements.”
– Abel : ”Esther, cet homme vous a-t-il avoué que notre mère était morte de faim enchaînée, seule dans l’obscurité depuis plus d’an, en Lorraine et qu’il n’a jamais eu l’intention de la faire transférer en Avignon !”
– Esther : ”Non ! Je ne voulais pas l’imaginer. Je gardais le peu d’espoir qu’il me restait de la ramener dans ma nouvelle famille à Lyon ! Nous ne pourrons jamais savoir, si c’était de son fait ou de sa volonté. Peu importe aujourd’hui, Abel vous devez fuir à nouveau.”
– ”Oui Esther, permettez-moi de vous appeler chère sœur, nos chemins vont encore se séparer et peut-être un jour se recroiser ? Quant à moi, je continue le combat pour la mémoire de notre père et de notre mère, pour tous ces pauvres gens sacrifiés pour rien ! Je repars sur le champ rejoindre l’armée du seigneur d’Andelot de Coligny. Nous continuons la lutte et nous espérons que notre bon roi Charles IX reconnaisse une bonne fois pour toute la Réforme !”
– ”Que Dieu puisse avoir pitié de nous tous ! Faudra-t ‘il attendre la ruine de notre royaume pour que vienne un traité de paix !?”
– ”Espérons le Esther !” Il se saisit des rênes de son cheval, resté à proximité.
Abel met le pied gauche à l’étrier, regarde une dernière fois sa sœur puis s’enfuit au grand galop rejoindre son destin.
Au loin, Juliette traverse le pont médiéval, un simple baluchon sur l’épaule, modeste bagage pour entreprendre un voyage à pied, comme un jour, ses parents le firent un matin d’hiver.
Le soleil prend sa course dans le ciel, la cité s’anime à nouveau après une nuit de cauchemar. Esther entend les gardes arriver au jeu de paume, puis s’éclipse discrètement et laisse derrière elle son passé, ses souvenirs d’enfance et elle sait qu’elle ne pourra jamais revenir dans ce château. Elle rejoindra son mari à Lyon et fera partie de ces grandes familles de la bourgeoisie qui feront l’histoire de la soierie à Lyon jusqu’à la crise économique de 1929.
Abel mourra à la bataille de Saint Denis en 1567, avec des centaines de lansquenets[1] allemands venus en renfort. Une confrontation indécise de part et d’autre. Du côté catholique, le connétable de Montmorency[2] trouvera la mort ce jour-là, à l’âge de 74 ans. Le traité de paix dit de Longjumeau sera signé un an plus tard le vingt-trois mars 1568 entre les chefs des armées royales et protestantes ; ironie de l’histoire, ce n’est que le manque de finance dans les deux camps qui permit une paix fragile mais la troisième guerre de religion commencera quelques mois plus tard. Ce n’est qu’à la fin de la huitième guerre en 1598, trente années plus tard que les hostilités se finiront. La France à bout de force et de finance, face à une Espagne qui ne voulait pas d’un roi de France protestant, signera le fameux édit de Nantes par notre bon roi Henri IV ; l’édit de Nantes est un édit de la tolérance mais sous conditions. Bien plus tard, le roi Louis XIV révoquera cet édit en 1685. Il faudra attendre, les critiques des lumières et la révolution française de 1789 pour permettre aux protestants d’être pleinement réintégrés dans leurs droits de culte, civils et politiques. Du massacre de Mérindol en 1545 à la Révolution, il aura fallu 244 ans de confrontation ; la vie des hommes passe trop vite mais son histoire avance lentement, à petits pas, vers la tolérance et la justice.
Nahil, quant à lui, celui dont le travail a été fructueux, après avoir négocié la libération d’Abel, en soudoyant les gardes-chiourme à Marseille, retrouvera le chemin de la Syrie après un périple à pied de deux années de voyage. En traversant la Hongrie par Buda Peszt, il réussira à passer par Istanbul et arrivera dans sa ville natale à Damas en 1568 après trente-cinq années d’aventures. Il enseignera jusqu’à la fin de sa vie, la médecine et la pharmacologie, grâce à la formation qu’il avait reçue à Fès de son jeune ami Abul Qasim Ibn Al Ghassani. Il mourra à l’âge de 82 ans en 1574, au printemps du troisième mois du calendrier lunaire hégirien.
F I N
[1] Les lansquenets étaient des mercenaires, le plus souvent originaires des États de langue allemande, opérant du xve à la fin du xvie siècle.
[2] Anne de Montmorency, né à Chantilly le 15 mars 1493 et mort à Paris le 12 novembre 1567, est duc et pair de France, maréchal puis grand maître de France, baron des Baux et connétable et émule de Bayard. Cet homme extrêmement puissant, qui a symbolisé la Renaissance française, fut un ami intime des rois François Ier et Henri II.
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